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  • Photo du rédacteurLucie et Carla

L'humour est-il d'actualité ?

Dernière mise à jour : 17 déc. 2018

Journalisme et humour ont, depuis longtemps, été amenés à se côtoyer au quotidien dans l’univers médiatique. On a tous en tête un humoriste qui a su analyser l’actualité avec justesse pour rendre un sketch drôle et pertinent. Que ce soit Coluche sur Europe 1, Les Guignols de l’info sur Canal+, ou Le Canard enchaîné en presse satyrique, tous ont misé sur la forme humoristique pour dépeindre leur société.

L’impertinence demeure, mais les humoristes appliquent aujourd'hui la même (vieille) recette à travers des supports de plus en plus divers. Avec l’émergence des nouvelles technologies, certains s’emparent de la liberté que procurent les réseaux sociaux pour dresser un portrait satyrique de l’actualité et de la politique.

Si le public est toujours au rendez-vous, peu importe la forme, c’est qu’il doit trouver une plus-value au mélange du genre humoristique et de l’actualité brute. Nous avons voulu échanger avec cinq personnalités, qui ont su fidéliser leur public en pratiquant cet exercice au quotidien.


L’humour au rythme de l’actualité


Comment définir un terme aussi vaste que l’humour ? L’humour peut être partout, dans un geste dans une tournure de phrase, dans un mot. Pour autant ceux qui le pratiquent peinent souvent à y appliquer un qualificatif. « Définir les choses c’est les mettre dans un cadre. Moi j’aime bien jouer avec les cadres. » affirme Charline Vanhoenacker. Mais la définition de l’humour dépend de l’usage qu’on en fait. Dans le registre satirique, Le Gorafi s’attribue ainsi l’étiquette de « miroir de la réalité ». Le Journal de L’Élysée, quant à lui, insiste sur le côté « piquant » de la parodie. Cet exercice bien particulier requiert une analyse pertinente des penchants de la sphère publique et des personnages de la vie politique du pays.

"ll y a pas mal d’humoristes qui tendent à se vouloir éditorialistes et font parfois l’économie de la drôlerie"

Parfois tout réside néanmoins dans la simplicité : « Un humour se veut marrant » ironise Vérino. Si le trait d’esprit de l’humoriste s’apparente au pléonasme, il fait toutefois écho à la vision d’Alex Vizorek : « J’essaye d’être drôle. C’est con à dire, mais il y a pas mal d’humoristes qui tendent à se vouloir éditorialistes et font parfois l’économie de la drôlerie ». Tous ont donc le même objectif logique : faire rire le public. Et pourtant, ils n’usent pas des mêmes méthodes pour y parvenir. Chaque thématique d’actualité présente ses propres risques pour les humoristes. Il leur faut dès lors prendre des précautions avant de se lancer. Pour vérifier l’impact d’une blague sur un sujet « touchy » par exemple, Alex Vizorek la confronte directement aux personnes visées. « Quand j’avais eu à traiter l’islam radical, j’avais appelé un pote musulman. Je lui dis ‘Qu’est-ce que vous pensez de tel truc, tel truc’ ». Il n’hésite pas à réécrire ses textes si une blague peut être mal interprétée. « Si les gens ne savent pas qui tu es et que tu n’es pas drôle, ta carrière peut s’arrêter direct ».

Son acolyte Charline Vanhoenacker, quant à elle, relativise l’importance de l’humour dans ses chroniques. « Je cherche simplement à montrer les choses sous une autre lumière, d’une autre manière avec d’autres mots. » enchérit-elle.



Une forme qui joue avec le fond


Si l’actualité se prête volontiers au registre humoristique, à l’auteur de l’apprivoiser pour en tirer le meilleur résultat, même si parfois ce n’est pas tant un choix qu’une obligation.

Pour Charline Vanhoenacker, la forme s’est imposée d’elle-même. « Je suis journaliste au départ donc je n’ai jamais pensé à la scène », confie-t-elle. Mais pour Alex Vizorek, c’est différent. Il l’avoue, la forme journalistique n’a été au départ qu’un prétexte pour avoir plus de visibilité lorsqu’il se produisait sur scène. Aujourd’hui, il est écouté par près de 2 millions de personnes. « C’est vraiment chouette de savoir que la blague que t’as écrite chez toi, ou qui t’as fait marrer dans l’après-midi, puisse faire rire autant de gens ».

Néanmoins, la relation entre le contenu et la forme peut être parfois bien plus étroite. Vérino considère que le rire du public est nécessaire « pour comprendre le second-degré et souligner le fait que c’en est ». Prenons l’exemple de Pierre Desproges, entré sur scène en déclarant : « Alors, il parait qu’il y a des juifs qui se cachent dans la salle ». Vérino estime qu’une blague aussi osée n’aurait pas marché s’il avait été seul à la télévision, « parce que le rire n’aurait pas été là pour expulser ». Le choix de la salle de spectacle pour filmer ses sketches lui semblait dès lors nécessaire pour servir l’humour.

"La forme n’est là que pour accentuer le côté humoristique"

La réflexion est la même, dans un autre exercice, pour Le Journal de l’Elysée qui joue avec la forme crédible de son compte Twitter. Si les brèves prenaient une autre forme, l’effet ne serait pas le même. « La forme n’est là que pour accentuer le côté humoristique », estime-t-il, « et pas du tout pour tromper ». Une distinction qu’il est désormais obligé de faire pour ne pas être accusé de propager des “fake news“. Cela lui a déjà valu « beaucoup de messages d’amour de pro-LREM » qu’il aime particulièrement tourner en parodie.



Un exercice qui présente des limites ?


Le risque en mélangeant humour et actualité, c’est que le public passe à côté du second degré. Les médias ou humoristes peuvent alors fixer des limites à ne pas franchir pour éviter toute ambiguïté, ou faire le choix de ne pas en avoir. Comme Vérino, pour qui « l’humour est quelque chose qui transcende les limites. Donc si on met des limites à l’humour, on transcende les limites avec quoi ? »

Le Gorafi, régulièrement accusé de participer aux fake news, affirme « qu’il n’y a pas de limites, seulement de mauvais angles ». Certains élus ont même été jusqu’à demander la fermeture du Journal de l’Élysée pour ces mêmes raisons. Une menace que le rédacteur en chef a choisi de prendre à la rigolade : « Ça me fait hurler de rire. Au final, c’est eux qui ont amené plus d’audience sur le compte ». Une manœuvre contre-productive qui l’amène à se poser d’autres questions.

Face aux aléas de l’actualité, peut-on rire de tout ? Nombreux sont les humoristes qui considèrent que c’est nécessaire. Vérino est d’avis qu’« il faut juste trouver comment s’adresser aux personnes à qui on parle ». L’humoriste doit ainsi apprendre à s’adapter à son audimat. Charline Vanhoenacker estime, quant à elle, que cela « dépend du récepteur, pas de l’émetteur » puisque chacun est libre de se fixer sa propre limite. Alex Vizorek abonde dans le même sens : « Si tu fais l’unanimité, c’est que t’as mal fait ton travail ». Pour ce dernier, on peut se permettre de rire même sur les sujets les plus sensibles, à condition d’avoir bien travaillé en amont afin d’avoir un résultat « drôle, juste, équilibré ».

"L’humour est quelque chose qui transcende les limites. Donc si on met des limites à l’humour, on transcende les limites avec quoi ?"

Néanmoins, quand le pays traverse des périodes difficiles, comme il l’a connu après les attentats par exemple, rire avec l’actualité semble beaucoup moins évident. Pour Charline Vanhoenacker, « quand l’actualité ne prête pas à rire, on cherche pas à rire non plus, parce qu’on est autant touché que les autres ». Un constat que partage son acolyte, Alex Vizorek : « Tu dois faire comme les caricaturistes. Ils sont publiés tous les jours, et quand c’est pas la franche rigolade, tu fais un dessin un peu plus tendre ». Dans l’immédiat, les humoristes ne sont donc plus forcément là pour provoquer l’hilarité, mais bien pour s’exprimer sur un sujet qui les concerne tout autant que le public.

Lors des premières révélations de #MeToo, Vérino, qui est très impliqué dans la cause féministe, reconnait qu’il n’avait pas envie de faire des blagues. Mais parler de ces problématiques est important : « même si ça déclenche pas des vagues de rire, ça déclenche des vagues de réflexion, et c’est déjà pas mal ».



Quand journaliste rime avec humoriste


L’actualité et l’humour se côtoient régulièrement. L’un peut être indépendant de l’autre mais « quand l’humour s’empare de l’actualité, ils sont complémentaires » affirme Charline Vanhoenacker. Là où le journaliste se doit d’être factuel, l’humour « permet d’utiliser une grammaire et un vocabulaire différent et d’être plus proche de la vérité », ajoute-t-elle.

Au-delà de ça, il sert aussi « d’une certaine façon, à démocratiser la politique » selon le Journal de l’Élysée. En dénonçant l’absurdité de certains choix et paroles, le côté humoristique va permettre de rendre l’actualité intéressante et accessible à un plus large public, qui n’a peut-être pas le réflexe de s’informer auprès des grands médias traditionnels.

L’humour « permet d’utiliser une grammaire et un vocabulaire différent et d’être plus proche de la vérité »

Certaines radios, comme France Inter, ont bien saisi l’importance de la présence d’humoristes sur leurs antennes afin d’apporter une alternative dans le traitement classique de l’actualité. Ironiser l’actualité est nécessaire dans un monde où toutes les informations sont livrées 24h sur 24h. « Pour survivre à cette surcharge émotionnelle, l’humour c’est une très, très, très bonne arme » selon Vérino. « Et comme dirait l’oncle de Spiderman ‘A grands pouvoirs, grandes responsabilité’ donc les humoristes ont un pouvoir et je pense qu’ils ont la responsabilité de faire en sorte que ce monde-là soit plus digeste. »




Humour et actualité apportent tous les deux au journalisme : une diversification des contenus, des acteurs nouveaux dans l’univers médiatique, une approche différente. Malgré les limites imposées par ce genre innovant, les humoristes et journalistes y voient une opportunité perpétuelle de se renouveler. Reste à savoir si cette forme ne s’accompagne pas elle-même de contraintes.

 

Retrouvez Charline et Alex dans "Par Jupiter !" sur France Inter du lundi au vendredi à 17h

Vérino en spectacle et sur Youtube pour "Dis-donc Internet" tous les samedis matin

Le Gorafi sur tous les réseaux sociaux et sur leur site

Le Journal de l'Elysée sur Twitter

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