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Photo du rédacteurLucie et Carla

Rencontre avec les créateurs de Black Mirror

Le mercredi 5 juin, Netflix sortira la saison 5 de Black Mirror. La série d’anticipation a prévu trois nouveaux épisodes pour assurer la continuité sur la plateforme de streaming, après le succès de son épisode interactif Bandersnatch. Les créateurs de la série phénomène, Charlie Brooker et Annabel Jones, se sont rendus à Lille à l’occasion du festival Series Mania.


Annabel Jones et Charlie Brooker à Lille le 28 mars, à l'occasion du festival Series Mania ©Lucie Berbey

« You should’ve seen it coming ». (Vous auriez dû le voir venir.) Alors que les fans de la série s’y attendent le moins, le 15 mai 2019, un tweet sur le compte officiel de Black Mirror fait son apparition. Accompagné d’une courte vidéo, il annonce le retour tant espéré de la dystopie britannique. En 1min38 de bande annonce les spectateurs découvrent ainsi les 3 nouveaux visages et univers qui composeront cette 5e saison : Andrew Scott dans le rôle de Chris, un chauffeur de taxi meurtrier. Anthony Macky, un mari lassé de sa vie de famille qui tente de tromper sa femme. Et une adolescente solitaire qui se lie d’amitié avec un robot à l’effigie de son idole, divinement incarnée par Miley Cyrus.

Derrières ces histoires sombres, plus sophistiquées et effrayantes les unes que les autres, se cachent les britanniques Charlie Brooker (journaliste, animateur, scénariste britannique) et Annabel Jones (productrice). Synecdoc a eu l’occasion de rencontrer ce duo atypique lors d’un échange animé par Pierre Langlais (Télérama) dans le cadre de Série Mania.


 

A quoi fait référence le titre « Black Mirror » (miroir noir) ?

Charlie Brooker : Le titre Black Mirror m’est venu alors que j’écoutais la chanson d’Arcade Fire qui s’appelle « Black Mirror ». Je me suis dit « De quoi ça parle ? » et j’ai compris « Oh, ils parlent de la télévision, d’un écran plat sur un mur. C’est comme un miroir noir quand il est éteint ».


Où trouvez-vous vos idées ?

Annabel Jones : Nous n’avons pas d’équipe pour faire les recherches. Nous n’avons pas d’équipe pour le développement. Nous sommes un peu non-professionnels en fait. C’est souvent juste nous deux dans une pièce. On discute et on partage des observations. On extrapole, on exagère et on essaie de trouver le pire scénario possible. Ça doit venir d’une réaction personnelle : quelque chose qui nous intrigue. Les histoires sont généralement très linéaires et simples. Ce ne sont pas des histoires épiques, mais juste des histoires simples et intimes qui rassemblent les gens.

CB : Tu as souvent une idée qui te tourne dans la tête, et puis elle rencontre une autre idée qui te tournait également dans la tête. Pour White Bear (S02E02), je regardais la fusillade de Khadafi. Il y avait toute une foule autour de lui après qu’on l’a poignardé, et il était exposé comme ça. Les gens prenait son cadavre en photo. Une photo a beaucoup tourné dans les médias, on voyait les gens se pencher sur son cadavre avec leurs téléphones. J’ai trouvé que c’était une image très alarmante.


Le premier épisode de la série (National Anthem, S01E01) était très choquant. Est-ce que c’était volontaire ?

CB : National Anthem n’était pas sensé être le premier épisode. On avait prévu un épisode complètement différent. Mais un nouveau patron a pris la tête de Channel 4 et elle n’aimait pas l’épisode. On avait déjà embauché un réalisateur, il était prêt pour tourner un épisode très sérieux. Mais elle trouvait ça trop sérieux et ne voyait pas l’humour là-dedans. J’ai eu un rendez-vous avec elle pour la persuader de nous laisser faire l’épisode et je me suis dit, si elle dit non, la série ne verra probablement jamais le jour. J’avais prévu l’histoire de National Anthem en dernier recours, et je ne voulais lui proposer que si tout le reste tombait à l’eau. Et tout le reste est tombé à l’eau.

AJ : Quand vous faites un film sur l'attrait des hommes pour l’humiliation, ce qu’ils attendent des célébrités et à quel point les célébrités seraient prêtes à tout pour se rattraper aux yeux du public, vous devez trouver quelque chose d'extrême pour exprimer cela. J’espère que la série n’est pas extrême uniquement pour le plaisir de l’être.

CB : Nous faisons aussi régulièrement des épisodes qui ne sont pas trop tournés vers la science-fiction, comme Shut Up and Dance (S03E03). C’est sympa de temps en temps d’avoir une histoire qui pourrait très bien arriver aujourd’hui.

Est-ce volontaire de vouloir marquer le spectateur à chaque épisode ?

CB : Quand on a commencé la série, on ne voulait pas choquer le spectateur, mais on voulait quand même le marquer et lui faire ressentir quelque chose. Et comme les histoires sont indépendantes, on doit leur donner un goût très fort. Donc quand on discute des épisodes, on se dit « Oh, c’est une situation qui pourrait se réaliser, ça. » et c’est ça le moment Black Mirror. Le petit rien qui fait un épisode. Parce qu’on sait que ça va avoir un impact sur le spectateur.

AJ : Dans Be Right Back (S02E01), une femme vient de perdre son mari et essaie de gérer le deuil. L’idée qu’elle puisse ramener son mari à la vie à travers des emails dans un premier temps, puis à travers sa voix et son corps, c’est une idée qu’on a eu rapidement. L’histoire se développe de façon assez simple. C’est une histoire très intime. La force de l’épisode vient des émotions de cette femme et de la réflexion autour du deuil dans le monde digital. Ce n'est pas particulièrement choquant, ça fait juste réfléchir un peu plus.


Est-ce que vous considérez que vous faites une série politique ?

CB : Je pense que National Anthem n’est pas du tout une histoire politique. On a choisi la figure du Premier ministre parce qu’il est l’homme le plus puissant du pays. Pour The Waldo Moment (S02E03), c’était une réaction aux personnes qui veulent voter pour élire un comédien. Au même moment, Boris Johnson (ancien maire de Londres, actuel député conservateur, ndlr) était pressenti pour devenir le prochain Premier ministre, et il apparaissait régulièrement dans des émissions de comédie. C’était en partie sur ça. Au départ, ça a commencé avec une simple discussion sur « Est-ce que tu voterais pour Homer Simpson ? ». On peut penser que The Waldo Moment parle de Trump et du populisme, mais je ne savais pas ça à l’époque. Donc ça peut paraitre plus politique que ça ne l’est vraiment.

AJ : C’était plus sur la balance des pouvoirs : la police, le gouvernement… Et à quel point ils ont peu de contrôle sur le monde moderne.


Est-ce que vous essayez de réagir aux changements dans le monde actuel ?

CB : On ne veut pas tomber dans le « Où est l’épisode sur le Brexit ? » et on essaie de ne pas trop suivre l’actualité. On commence simplement sur une idée et, souvent, on finit par parler d’autre chose.


Annabel Jones et Charlie Brooker à Lille le 28 mars, à l'occasion du festival Series Mania ©Lucie Berbey

Beaucoup de personnes ont été surprises, voire déçues, de voir Black Mirror arriver sur Netflix. Qu’est-ce que vous en pensez ?

CB : C’était une décision sensée pour nous d’accepter l’offre de Netflix, pour que la série continue à être basée au Royaume-Uni. Quand la série était diffusée sur Channel 4, l’audience ne faisait que chuter d’une semaine à l’autre, parce qu’il n’y avait pas de personnages à suivre d’un épisode à l’autre. Alors ça faisait sens pour nous d’avoir la série sur une plateforme où le spectateur peut la regarder quand il veut et dans l’ordre qu’il veut.

AJ : Et puis les épisodes sur Netflix pouvait être aussi longs qu’on le souhaitait, alors ça a développé notre créativité, comme pour Metal Head (S04E05) qui durait 40 minutes.

CB : On n’aurait pas écrit San Junipero (S03E04) s’il n’y avait pas eu six épisodes. Avec uniquement trois épisodes, j’aurais eu peur de faire de l’ombre au reste de la saison. Quand on écrit pour une plateforme où l'on peut réaliser la durée que l’on veut, on a tendance à perdre un peu de discipline. Sur Channel 4, il y avait des coupures pub toutes les dix minutes, alors on devait faire en sorte que les spectateurs continuent à regarder l’épisode.


En décembre 2018, vous avez sorti Bandersnatch, qui est le premier épisode interactif sur Netflix. Etes-vous satisfait de cette nouvelle expérience ?

CB : Bandersnatch (S04E07) était assez particulier. Netflix est venu nous voir et nous a demandé si on voulait créer une histoire interactive. Annabel a pensé que c’était une combine pour attirer des spectateurs, et moi j’ai pensé que c’était quelque chose qui datait des années 90 qui n’était pas particulièrement bien. Mais on a eu une idée, ou peut-être avons-nous accidentellement pensé à une histoire ? *rires*. C’était très expérimental. J’ai beaucoup joué à des jeux vidéos, mais ce n’était pas vraiment similaire. J’ai dû apprendre le codage, et je me souviens avoir pensé « C’est un cauchemar. » Et on a fait en sorte que, tout au long de l’écriture, ça ressemble à un film.

AJ : L’élément le plus important pour nous était de ne pas perdre le rythme, de continuer à intéresser le spectateur et qu’il sente de plus en plus de pression avec chaque choix. Un autre élément important était de trouver une fin qui puisse co-exister avec toutes les autres fins. C’était le premier film interactif sur une plateforme de streaming et les gens sont venus voir ce que c’était. Et malgré soi, on devenait encore plus complice de l’histoire.


Est-ce le futur de la télévision ou juste une expérience unique ?

CB : Je pense qu’on va être amenés à voir de plus en plus de contenu interactif, mais que ça ne va pas remplacer les contenus classiques. C’est simplement une expérience très différente, on ne se contente pas de s’assoir et d’écouter une histoire. Mais je pense que toutes les histoires ne supportent pas une forme interactive parce que, si on dit au personnage ce qu’il doit faire et qu’il l’accepte tout de suite, il perd sa consistence. C’est comme Mario. C’est un personnage sympathique, il saute au-dessus de cases et fait plein de choses, mais c’est juste une marionnette. C’est pour ça qu’on a choisi de voir Stefan dans Bandersnatch se rebeller contre les instructions du spectateur. C’est ce qui fait qu’il reste un personnage à part entière, mais on ne peut pas faire ça avec tout.


Jusqu’où comptez-vous aller avec cette série ? Combien de saisons comptez-vous faire ?

CB : C’est une série qui est assez flexible. On peut traiter plein d’histoires et de contenus différents. C’est grâce à ça qu’on reste passionnés par ce qu’on fait. Alors, j’espère, pendant encore un bon bout de temps. Et même plus tard encore. On va continuer même si les gens n’en veulent plus, jusqu’à ce qu’ils essaient physiquement de nous faire arrêter cette série.

 

Retrouvez la saison 5 de Black Mirror, à partir du 5 juin, exclusivement sur Netflix.

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